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Un nombre de cancers anormalement élevé
Un nombre de cancers anormalement élevé

La Presse

time4 days ago

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Un nombre de cancers anormalement élevé

(Shelburne, Nouvelle-Écosse) Louise Delisle n'oubliera jamais l'odeur fétide qui a accompagné son enfance ni la fine pluie de cendre tombant sur son quartier lorsque les déchets du dépotoir municipal étaient incinérés. « Ça sentait les vêtements brûlés, la viande brûlée, mais pourrie… Une odeur de vieux marécage, d'eau sale, décrit-elle. Je pouvais sentir tout ça dans la fumée et dans l'air. Il y avait aussi une odeur chimique de peinture et d'huile. » PHOTO MYLÈNE CRÊTE, LA PRESSE La maison où Louise Delisle a grandi est située à proximité de l'ancien dépotoir de la petite municipalité de Shelburne, en Nouvelle-Écosse. La septuagénaire, une descendante des loyalistes noirs débarqués en Nouvelle-Écosse vers la fin du XVIIIe siècle, nous reçoit dans la modeste demeure où elle a grandi, à Shelburne, une petite localité du sud-ouest de la province. De l'autre côté de la rue, une végétation abondante camoufle ce qui était autrefois un dépotoir municipal. La décharge a été aménagée en 1946 en plein cœur de cette communauté afro-néo-écossaise implantée là depuis des générations. Les résidants n'ont pas eu leur mot à dire. Ils ne voulaient pas l'installer près du quartier aisé. C'était beaucoup plus facile, loin des regards, dans notre quartier où vivaient des gens pauvres et des travailleurs qui n'allaient pas se plaindre. Louise Delisle, résidante de Shelburne Elle estime que sa communauté a été victime de racisme environnemental en étant exposée à cette pollution contre son gré. Elle soupçonne le dépotoir d'être à l'origine de nombreux cas de cancer et elle se bat aujourd'hui pour obtenir réparation. Selon une étude commandée par la Ville, l'ancien dépotoir de deux hectares est de première génération, c'est-à-dire sans membrane protectrice pour empêcher les contaminants de s'infiltrer dans les eaux souterraines. Il a reçu durant des décennies les déchets de Shelburne, de son ancienne base navale des Forces armées canadiennes et des municipalités avoisinantes avant d'être fermé en 1996. Des gens ont toutefois continué d'aller y porter des déchets jusqu'en 2016. Depuis, le site est clôturé et cadenassé. Cette décharge a brûlé sans interruption dans les années 1950, 1960, 1970 et 1980, au point que nous ne pouvions plus ouvrir nos fenêtres. Nous ne pouvions pas mettre nos vêtements sur la corde à linge, nous ne pouvions pas aller dehors et lorsque nous devions sortir pour aller à l'école – le racisme montrait sa laideur –, on nous rejetait et on nous appelait les rats du dépotoir. Louise Delisle Certaines personnes y allaient pour trouver des objets utiles ou même parfois de la nourriture jetée par les épiceries. « Nous y allions pour trouver des livres, révèle-t-elle. C'était la seule chose que ma mère nous permettait de rapporter à la maison. » La Ville a annoncé en 2022 le déclassement et la remise en état de l'ancienne décharge municipale. Un projet dont le coût est estimé à près d'un demi-million de dollars. L'eau souterraine doit y être testée cet été pour tenter de détecter la présence de contaminants et s'assurer qu'ils ne polluent pas les puits des résidences avoisinantes. Le site sera ensuite recouvert pour isoler les matières potentiellement dangereuses. Le conseil municipal espère qu'il pourra éventuellement être utilisé à d'autres fins par la communauté. La mort tout près « Nous perdons des gens tout le temps. Nous sommes une communauté en deuil », dit en soupirant Louise Delisle. C'est le nombre de cas de cancer anormalement élevé dans sa communauté qui a éveillé ses soupçons. Celle qui a longtemps travaillé comme préposée aux bénéficiaires en a recensé 90 sur une population d'environ 1650 habitants. Uniquement dans sa famille, quatre membres sont morts de la maladie et deux autres ont réussi à la combattre. Presque tous avaient vécu dans cette même maison à un jet de pierre de la décharge. Chaque fois que quelqu'un tombait malade, la conversation revenait toujours à ce fameux dépotoir. Louise Delisle Le déclic s'est produit lorsque sa mère a reçu son diagnostic tout juste après la mort de sa grand-mère. « Je me suis rendu compte qu'il était temps que quelqu'un dise quelque chose, que ce n'était pas normal de perdre autant de gens. » Elle a créé une base de données grâce au bouche-à-oreille pour recenser les cas de cancer dans la communauté, ce qui a inspiré un projet de recherche de l'Université McMaster pour tenter de déterminer si ces cas sont liés aux contaminants présents dans le dépotoir. L'analyse des échantillons d'ADN est en cours et les résultats devraient être connus d'ici la fin de l'année. « Je me souviens, lorsque j'ai rencontré Louise pour la première fois en 2015, elle n'avait jamais entendu parler de racisme environnemental », relate Ingrid Waldron, titulaire de la chaire de recherche HOPE sur la paix et la santé de l'Université McMaster, en Ontario. La sociologue a participé à l'étude sur la communauté de Shelburne menée conjointement avec la professeure de biologie Juliet Daniel, intéressée par les incidences de cancer dans les communautés noires et hispanophones, et la spécialiste en biologie du cancer Paola Marignani, professeure à la faculté de médecine de l'Université Dalhousie, en Nouvelle-Écosse. Mme Waldron est également l'auteure du livre There Is Something in the Water, qui documente plusieurs cas similaires au pays. Son ouvrage a inspiré un documentaire produit par Elliott Page et diffusé sur Netflix en 2019. PHOTO NICK PEARCE, TIRÉE DU SITE WEB DE L'UNIVERSITÉ MCMASTER Ingrid Waldron, titulaire de la chaire de recherche HOPE sur la paix et la santé de l'Université McMaster Le racisme environnemental ne se limite pas à un cas isolé. Il ne concerne pas uniquement Shelburne, mais un ensemble de communautés au fil du temps et de l'histoire. Ingrid Waldron, titulaire de la chaire de recherche HOPE sur la paix et la santé de l'Université McMaster Le cas de la communauté ojibwée de Grassy Narrows, dans le nord de l'Ontario, empoisonnée par des déversements de mercure, en est un. Il y a aussi celui de la communauté ojibwée d'Aamjiwnaang entourée par une soixantaine de raffineries, près de Sarnia, dans le sud de l'Ontario. PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE Le chef des Ojibwés de Grassy Narrows, Rudy Turtle, dénonce la contamination au mercure qui frappe sa communauté, lors d'une conférence de presse en 2019. « Lorsque vous implantez des installations toxiques dans ces communautés, déjà aux prises avec des désavantages sociaux, économiques et politiques, vous compromettez encore davantage leur bien-être », résume la professeure. Le concept de racisme environnemental a été reconnu dans une loi adoptée par le Parlement canadien en juin 2024. Le projet de loi avait obtenu l'appui de tous les partis à la Chambre des communes, à l'exception des conservateurs. En quête de réparation La loi sur la justice et le racisme environnementaux vise à s'attaquer aux préjudices subis par des communautés comme celle de Shelburne et aussi à éviter l'apparition de nouveaux cas. Lors de son adoption il y a environ un an, Justin Trudeau était toujours premier ministre. PHOTO SPENCER COLBY, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE La ministre de l'Environnement, Julie Dabrusin Cette législation donne deux ans à la ministre de l'Environnement, Julie Dabrusin, pour présenter une stratégie nationale qui inclut une étude sur les liens entre « la race, le statut socioéconomique et le risque environnemental » et des données sur « l'emplacement de dangers environnementaux » au pays. La loi, en partie écrite par la professeure Ingrid Waldron et présentée par la cheffe du Parti vert, Elizabeth May, suggère également au gouvernement d'indemniser les personnes ou les collectivités touchées. C'est ce que souhaite Louise Delisle, qui a récemment écrit à la ministre Dabrusin pour savoir où en étaient les travaux. D'abord soulagée après l'adoption de la loi, elle s'inquiète aujourd'hui de ne recevoir aucune réponse. « Je veux que le gouvernement reconnaisse la perte des personnes qui ont succombé au cancer, d'une part, ainsi que la perte émotionnelle et financière pour leurs familles », signale-t-elle. Loin de baisser les bras, elle a fondé le Center for Environmental Justice avec d'autres membres de sa communauté pour continuer de faire pression sur les autorités. « Le temps presse et nous n'allons pas les laisser nous oublier », affirme-t-elle. Le ministère fédéral de l'Environnement indique que la stratégie nationale est en cours d'élaboration et l'étude, en cours de réalisation. « Les efforts d'analyse ont commencé, et le résultat sera intégré dans la stratégie provisoire », a précisé le porte-parole du Ministère, Samuel Lafontaine, dans une déclaration écrite. Il compte « respecter le délai prévu par la loi pour déposer le document au Parlement en 2026 » et prévoit « des activités de sensibilisation et de mobilisation liées à l'étude » au cours des prochains mois et des consultations pour l'élaboration de la stratégie. Il n'a pas donné davantage de détails sur ces activités.

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